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— En es-tu bien sûr ? Comment as-tu pu me proposer ?

— Demande-moi pourquoi je ne t’ai pas prise, malgré la fureur de mes désirs, malgré tes imprudences ?

Je ne trouvai rien à répondre.

Il reprit :

— Tu es comme toutes les femmes, toi ! Tu conçois une forme spéciale de l’amour et tu crées des catégories arbitraires. Je ne t’ai pas aimée, dis-tu, parce que j’ai négligé de parer, par des subtilités et des mensonges, les volontés éternelles qui sont communes à tous les amants. Je t’ai désirée et je t’ai dit mon désir : j’ai souffert et j’ai avoué mes impatiences ; je t’ai montré ma vie, sans fard, dans sa tristesse certaine et sa laideur possible. Jamais je ne t’ai menti. Souviens-toi ! Et quand tu m’objecterais mes fautes, mes faiblesses, disons hardiment mes vices, si tu veux, je ne songerais pas à m’innocenter. Je te répondrai seulement : si je ne t’ai pas aimée selon la formule de Pierre, Paul ou Jacques, je t’ai aimée sincèrement, comme peut aimer Maxime Gannerault. Amour peu romanesque, soit ! Peu délicat ? Tu l’as dit… mais amour au même titre que l’amour des gens vertueux ou sentimentaux. Oh ! Marianne, je t’aimais ! Je t’aimais puisque je ne voulais te tenir que de toi-même. Amie chérie, amie perdue… écoute, crois-moi, la passion échappe au mépris quand elle peut montrer l’irrécusable témoignage de la douleur… Et moi qui m’en vais pour toujours… moi…

Je reculai d’un mouvement involontaire. Les murs de la chambre tournoyèrent autour de moi et le passé, renaissant comme une flamme des décombres d’un incendie, m’enveloppa de son souffle et de sa chaleur. Et Maxime tomba à genoux… Ceignant de ses bras ma taille qui se raidissait, mes reins qui ployaient en arrière, il cacha sa tête dans les plis de ma robe et éclata en sanglots.

Alors tout s’arrêta, le temps, la vie, ma pensée… Je restai muette et pétrifiée au milieu de la chambre, sous le jour pâle des rideaux blancs. La porte close, la fenêtre voilée, les murs aux vagues ramages bleuâtres nous isolèrent dans un cercle hermétique où rien d’extérieur ne pénétra. Nous étions seuls, face à face, pour nous absoudre ou nous maudire. Et dans le tragique silence, les larmes de Maxime coulaient sur mes mains.

— Maxime… je t’en supplie… calme-toi… relève-toi !

Il souleva sa tête enfouie entre mes doigts, dans la chaleur de ma ceinture. Il leva un visage convulsé que la douleur transfi-