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heures de gémissements et d’invectives à la destinée, il nous fallut la dévêtir, la coucher, l’engourdir par des narcotiques. Je restai près d’elle, dans la chambre close où flottait une odeur d’éther, pendant que Maxime écrivait. Nous dînâmes en silence. Ma marraine dormait enfin, du lourd sommeil qui suit les crises. Vers huit heures, Maxime avait regagné sa chambre lorsqu’un télégramme arriva.

Pressentant l’ordre du départ, je montai chez lui.

— Entre, me dit-il. J’allais te prier de venir, j’ai quelque chose à te remettre.

Il était à demi vêtu, d’un pantalon de drap blanc et d’une chemise de flanelle légère, sans cravate, le col ouvert. J’entrevis le lit bouleversé par la fiévreuse insomnie d’un homme qui s’y était jeté plusieurs fois, cherchant le sommeil impossible. Sur la table, des papiers gisaient.

— Je pars demain, dit Maxime en pliant la dépêche. J’espérais quelque délai. Allons !…

Il prit un paquet :

— Voici tes lettres, ton portrait, tes cheveux, tout ce qui me restait de l’ancienne Marianne.

— Je te remercie.

Le paquet tremblait dans ma main. Maxime murmura :

— Qui nous eût dit, il y a un an !… Ah ! je laisserai peu de regrets ! L’oubli, c’est le commencement de la mort et je suis si las de la vie ! Meurtri, dégoûté, oui, dégoûté des autres et de moi même. Sois contente, Marianne. Te voilà débarrassée de moi.

— Peux-tu croire…

— Oh ! j’ai bien compris que je te gênais ! Après tout, si tu avais des torts envers moi, j’avais mérité ta rancune. Je t’ai déçue, je t’ai blessée. Pourtant…

— Mais, balbutiai-je, je n’ai plus aucune raison de te haïr. Seulement quand je redoutais en toi un ennemi implacable…

— Ah ! cria-t-il avec un accent qui m’ébranla jusqu’à l’âme, moi, ton ennemi ! tu as pu croire cela ? L’amant trahi et torturé se défend avec les armes qu’il trouve et ne distingues-tu pas de la haine l’amour qui s’exaspère et se retourne contre son objet ? Non, je ne t’ai point haïe. Je ne te hais point.

— Tu me menaçais.

— Je t’aimais.

Maladroitement, je répliquai :