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XXII

Je ne dormis pas cette nuit-là.

Pourquoi cette angoisse, pourquoi, après tant de colères et de malédictions, cette indulgence attendrie qui s’emparait de moi ? J’avais failli m’évanouir quand le train avait disparu, emportant mon ennemi vaincu, et avec lui deux années de ma jeunesse, et les espoirs stériles misérablement avortés. Vainement je considérais le cynisme, la brutalité, l’audace qui faisaient de Maxime un aventurier redoutable, extrême dans le mal comme il l’eût été dans le bien, et capable de dormir sans remords, après des palinodies et des parjures, certain de n’avoir transgressé que des lois sans sanction, de puériles règles établies pour les esprits inférieurs. Je ne pouvais plus juger celui qui m’avait aimée d’un amour sincère jusque dans ses égarements. Et, bien qu’il eût revêtu, cet amour, les aspects de la luxure et de la haine, je me rappelais des mots jaillis des profondeurs d’une âme, un trouble qu’on ne feint pas, des mains qui tremblaient et se glaçaient entre les miennes. Je comprenais combien j’avais fait souffrir Maxime et comment mon inexpérience, ma jeunesse, une obscure et féminine perversité l’avaient soumis au supplice de Tantale. Maintenant, en me jugeant moi-même, je n’osais plus le condamner.

Le jour pâlit à travers les rideaux. Je me levai. Une vapeur crépusculaire noyait les silhouettes des arbres, les bruns labours, les chaumières basses. Le paysage était confus, frais et bleuâtre. L’étoile du matin brillait d’un feu blanc.

Une lueur courut à l’orient. Le chant des coqs, plus aigre, perça l’air plus vif et le soleil émergea de l’horizon comme une face souriante dans sa splendeur. Avec la lumière, le frémissement de la vie courut sur le monde. J’entendis l’éveil des troupeaux.

« Que fait Maxime en ce moment ? » me disais-je.

Je le voyais, s’habillant dans la chambre aux rideaux jaunes, cachetant des enveloppes, brûlant des papiers. Je l’imaginais relisant mes lettres, regardant mon portrait, touchant ces cheveux, où tant de fois une puérile superstition d’amant lui avait fait poser sa bouche. Et le front appuyé à la vitre, je ne pouvais