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— Ah !

— Ma mère ignore ce duel,… qui peut,… qui doit être grave… Je compte sur toi pour m’aider à le lui cacher,… puis pour la consoler… peut-être…

— Je ferai mon devoir.

Il reprit :

— Oh ! je sais que tu as du tact, de l’intelligence et de l’adresse.

Je n’osais demander les détails, que je brûlais de connaître. Maxime devina ma curiosité et avec un sourire indécis :

— Au fait, je puis bien le dire… Je me bats avec Guillemin… Il m’a provoqué publiquement…

— Mais à quel propos ?

— J’ai été imprudent… Une allusion maladroite à des faits connus seulement de lui et de moi a donné l’éveil. On a acheté le secrétaire de Chalbert… Tu devines le reste. Le marquis des Meuilles, épeuré, se prive de mes services. Guillemin m’a insulté dans une brasserie du boulevard. Je l’ai souffleté. Nos témoins discutent et pérorent.

Il se leva :

— Je me retire… en m’excusant de t’avoir dérangée.

Je le regardai et dans son attitude, hautaine encore, je crus voir percer le découragement et le dégoût du lutteur vaincu d’avance. Comme se parlant à lui-même, il murmura :

— C’est drôle… Il me semble que je ne hais plus Guillemin. Il avait de bonnes raisons de n’être pas content, ce pauvre diable !… Je n’ai aucun désir de le tuer, tandis qu’il grille d’envie de me pourfendre… Il y a des moments comme cela où tout vous devient indifférent…

Je me taisais. Il fit quelques pas vers la porte. Puis se tournant vers moi :

— Écoute, dit-il avec un effort visible… J’ai quelque chose encore a te dire.

— Parle.

— Si je pars, je suivrai Sidley. Il a obtenu de son journal une mission en Guyane. Il se peut que je l’accompagne. Je lui dois de l’argent et il n’entend rien perdre, en bon Yankee. Mais, puisque je refais ma vie, puisque je jette mon passé derrière moi, je suis résolu a ne rien garder de ce passé, plus douloureux que tu ne peux le croire. Oh ! qu’il n’en subsiste rien !