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En refusant de tenter la chance d’un mariage, je ne cédais pas à un sentiment de lâcheté. Au contraire, si j’avais pu aimer quelqu’un, j’aurais pris un singulier plaisir à braver mon ancien amoureux et à le réduire à l’impuissance… Mais j’étais triste, apaisée, adoucie, et les défis, les bravades que je lançais autrefois à Maxime, à moi-même, à tout le monde, m’apparaissaient ridicules et puérils… Je sentais que, tout indigne qu’il était, Maxime avait souffert par moi. Et un peu de remords éloignait les insolences.

Jamais nous ne restions seuls ensemble… Une fois, dans les derniers jours de mai, en descendant le chemin creux de la Sablonnière, j’aperçus le jeune homme étendu sous les pins, maniant un journal qu’il ne lisait pas. Je restai immobile, saisie tout à coup d’une émotion où se mêlaient la peur et le désir d’être vue… Maxime, en tournant la tête, me reconnut. Il se leva à demi, puis, se ravisant, il resta assis à cette même place où, moins d’un an plus tôt, je lui avais rendu ses baisers… J’étais à dix pas de lui :

— Pourquoi ne passes-tu pas ? me dit-il de sa voix brève.

Je ne répondis rien. Je passai et quand j’entrai dans le sentier qui s’ouvrait, en face de moi, sous un glissement d’argile rouge, je ne pus résister au désir d’observer Maxime… Il gardait sa pose abattue, les yeux fixés au sol, les traits marqués d’une stupeur triste… Qui l’avait conduit vers la solitude brûlante de ces sables ? Le hasard,… la haine,… l’amour ?

Juin commençait. L’Histoire d’une grève parut dans une clameur de scandale dont les journaux, irrégulièrement reçus, nous apportèrent un écho. Maxime rayonna d’une joie de victoire. Quelques jours plus tard, il forçait les portes du Socialiste chrétien avec un article qui commentait l’ouvrage signé Trois-Étoiles. L’audace de sa combinaison semblait lui porter bonheur. L’article, envoyé sans signature au marquis des Meuilles, avait plu fortement. Présenté par Sidley, Maxime avait achevé la conquête du marquis. Mais il exigeait que sa collaboration restât anonyme, secrète pour tous.

Pendant trois mois, Maxime, voilé, caché, impénétrable, inquiéta et amusa Paris. Jamais il ne paraissait aux bureaux du Socialiste chrétien, jamais chez son libraire. Sidley agissait pour Maxime dans un intérêt connu de lui seul. Les péripéties de cette campagne, difficilement suivies, m’échappaient à demi, et quand je venais à Paris pour mes leçons, j’achetais des journaux de