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— Rappelle-toi ceci : je n’oublie rien ; je ne pardonne jamais. Tu ne seras pas à moi, mais tu ne seras à personne. J’ai tes lettres, toutes. Et je les garderai toujours. Et si tu songes un jour à te marier, prends garde.

Je ne répondis pas.

— Prends garde ! répéta-t-il. Je te déteste autant que je t’aimais. Et tu me les redemanderas peut-être à genoux, tes lettres.

Je fis un geste d’indifférence. Il parut attendre un mot que je ne prononçai pas. Puis, lentement, il sortit.


XXI

Le printemps vint. Mme Gannerault et moi, nous nous installâmes aux Yvelines.

Depuis le soir où Maxime et moi, nous nous étions jeté au visage l’injure des mots irréparables, il y avait dans ma vie comme une accalmie, un temps d’arrêt, la léthargique douceur d’un évanouissement après une crise. Je ne haïssais pas celui qui s’asseyait près de moi à la table de famille, me baisait au front devant sa mère et continuait à me traiter comme une sœur. J’étais heureuse d’échapper à sa domination. J’oubliais les outrages reçus — et peut-être mérités — dans une triomphale sensation de pureté reconquise. Le passé se dissolvait doucement, comme un cauchemar, et quand une réminiscence traversait mes rêves, je ne reconnaissais plus en moi l’héroïne de ce lamentable roman.

Ce furent des jours un peu mornes, apaisés, comme ouatés de silence et de neige où se préparait obscurément quelque mystérieuse réaction. Je connus alors l’orgueil de n’appartenir qu’à moi-même. Mes lèvres purifiées, ma chair vierge, goûtèrent la haute volupté de la pudeur volontaire. Il me sembla que j’avais fermé les portes d’un domaine où j’étais maîtresse, domaine interdit aux profanes désirs des hommes et promis à la lointaine conquête d’un très pur amour.

Le livre de Maxime devait paraître fin mai. Il ne nous donna point de détails sur le succès probable de cette œuvre. Ses visites étaient rares et courtes. Il m’évitait. Et quand Mme Gannerault nous forçait à la suivre vers le ru bordé de saules, les