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Ce mot fit surgir à ses yeux des visions qui l’affolèrent. Il oublia son attitude orgueilleuse, son affectation de dignité. Il fut un homme éperdu et furieux :

— Menteuse ! perfide ! Je n’ai pas rêvé pourtant. Mais je t’ai tenue dans mes bras ! J’ai baisé ta bouche. Que me parles-tu de ton âme lasse, de tes nerfs malades, de ta nostalgie de repos ? Des mots, tout cela. Tu ne m’as jamais aimé. Tu t’es amusée à te faire adorer. J’étais le pantin dont tu tenais les ficelles. Je te donnais la comédie. Pourquoi me recevais-tu ? cria-t-il en posant sa lourde main sur mes cheveux. Par vanité, par ennui, par plaisir ? Ah ! souviens-toi, dans la sablonnière, tu voulais bien alors, et j’ai été trop bête, vraiment…

— J’avais perdu la tête, dis-je à travers mes larmes. Je ne nie pas mes torts, mais je ne peux pas, non. Si tu avais été un autre homme, plus honnête…

— Pauvre petit ange ! Tu voulais m’estimer ? Ma vie offusque ta vertu ? Allons, sois franche, dis que je te gêne, que tu me méprises.

— Malgré moi.

— Oui, fit-il, voilà le grand mot lâché. Tu me méprises parce que Mme de Charny m’a prêté de l’argent, parce que j’emploie à servir mes intérêts, mes projets et mes haines, tous les moyens que je juge bons, parce que je n’appartiens pas à la race pleurarde et sentimentale. M’épouser ! Te donner pour toujours, c’est grave. Ça peut être ennuyeux ou dangereux. Tandis que le flirt, les baisers, les privautés amoureuses, c’était fort agréable sans engager à rien. Tu réservais ton capital, ma douce amie ! Eh bien, garde-le, marie-toi. Je ne serai pas jaloux de celui que tu épouseras. Tu n’en vaux pas la peine.

Il étouffait. Il revint près de moi :

— Quand je pense, quand je me souviens… Ah ! chaste Marianne, vous jouez les ingénues, à présent. Tout est peut-être pour le mieux ! Mais celui qui t’épousera, ma fille, épousera une fière…

Je reçus l’outrage d’un mot abominable, comme l’éclaboussure d’un jet de boue. Tout mon sang me monta à la face et je ripostai spontanément :

— Celle qui te prendra, toi, épousera un souteneur.

Nous restâmes face à face, pétrifiés par nos propres injures, dans la rage et le désespoir d’en être arrivés là, les yeux pleins de menaces, le cœur plein de haine. Il parla enfin.