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D’ailleurs, j’entrevoyais des responsabilités effrayantes. Le nombre de nos élèves diminuait à mesure que s’altérait la santé de ma marraine. Personne n’eût reconnu la jolie femme coquette d’autrefois… Empâtée, dolente, les tempes grises, elle tombait dans cet excès de dévotion familier aux femmes qui ont passé l’âge de l’amour. Je dus bientôt la remplacer auprès de maintes élèves. Mais ma jeunesse et mon inexpérience faisaient regretter Mme Gannerault.

Maxime ne nous parlait plus de ses affaires. Je savais qu’il avait perdu tout espoir d’entrer au Socialiste chrétien. Il nous confia seulement qu’il écrivait un livre, roman vécu, roman réel, avec preuves à l’appui. Un soir, après le dîner, il arriva triomphant.

— Je sors de chez Chalbert, l’éditeur… Il m’a payé comptant mon manuscrit.

Mme Gannerault eut un cri de joie. Maxime l’arrêta net :

— Pas un mot de ceci, je te prie. Je me suis engagé à garder l’anonyme.

— Et ton livre sera signé ?

— Trois étoiles.

— Le titre ?

Histoire d’une grève… Souvenirs d’un témoin… Ah ! mes bons amis, Guillemin, Faverot, nous allons rire !… Tout sera dans mon livre : les agents provocateurs, les urnes a double fond, les listes falsifiées par un maire trop zélé… contre le gouvernement — et la jolie correspondance de ces messieurs…

— Mais on devinera…

— L’auteur ? Peu m’importe… Je défie qu’on prouve mon identité. Quel beau scandale cela va faire !

Il se frottait les mains. Toute la soirée, il montra la gaieté nerveuse et comme physique d’un homme qui se sent victorieux. Onze heures sonnèrent. Il ne se retirait pas, malgré les bâillements de ma marraine tourmentée par le sommeil. Je compris qu’il attendait le moment où nous resterions seuls.

Mme Gannerault, fatiguée, se leva pour se retirer. Maxime lui dit, câlinement :

— Tu permets que je reste une minute encore ?… Je suis surexcité et vibrant. Il me serait impossible de dormir… Si Marianne n’est point trop lasse, je lui tiendrai compagnie un moment.