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AVANT L’AMOUR[1]


XX

Ils passèrent, les jours funèbres. Puis le caveau du cimetière refermé sur le corps de M. Gannerault, les tentures enlevées, les cierges éteints, la vie reprit son cours monotone.

Cher parrain ! Il était mort sans nous avoir reconnus. Pendant les lentes heures de la veillée, pendant que Maxime rêvait, le front dans ses mains, j’avais prolongé mon examen de conscience. La mort avait remis à leur place les ambitions démesurées, les droits absolus, les félicités revendiquées si âprement. L’horizon s’élargissait devant moi et je comprenais que la volonté de vivre n’est pas l’effrénée volonté de jouir. Le tumulte de mes sentiments s’était apaisé devant ce cadavre et je songeais :

« Tu as appelé l’Amour ?… As-tu connu les vertus qu’il exige : simplicité, abnégation, patience, goût délicat de la pureté !… L’obscur appétit de la chair, la fièvre d’une imagination enivrée par la jeunesse n’ont-ils pas égaré ton pèlerinage vers des routes où l’Amour n’a jamais passé ?… Tu as suivi le passant qui faisait miroiter devant tes yeux curieux de vierge les facettes étincelantes de son désir… Et tu as chéri son désir, fille orgueilleuse ! L’homme s’est transfiguré dans ce reflet… Regarde-le, dépouillé de l’ancien prestige… Il est brutal, il est âpre et volontaire ; c’est un homme de proie… Tu ne l’as jamais aimé. »

La chambre d’hôtel, payée par Mme de Charny, les explications cyniques que Maxime avait murmurées à mon oreille — pour me

  1. Voir la Nouvelle Revue des 15 octobre, 1er et 15 novembre et 1er décembre 1896.