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Mon parrain fit un pas, ouvrit les lèvres ; mis ses forces le trahirent. Il chancela et tomba sur sa chaise, presque évanoui.


XVIII

« Ma chère Marianne, je voudrais répondre à ta pathétique et impérieuse lettre. Mais je suis trop occupé, trop préoccupé pour te remercier comme il convient d’une homélie un peu singulière et que j’espérais plus tendre. Tu me sommes de tenir ma parole : tu exiges de moi la confession promise — et tu l’exiges sur un ton propre à refroidir la contrition du pénitent. À mon tour, je te dis : « Maladroite ! »

« Pourtant, si désagréables que puissent être certaines explications, je suis prêt à te les donner avec une franchise tardive, mais qui, prématurée, eût amené entre nous des… vivacités irréparables. Je n’ai jamais douté de ton intelligence, ni de ton indulgence ; tes dix-neuf ans seuls m’inquiétaient. La demi-instruction passionnelle des jeunes filles est plus dangereuse que l’expérience entière ou l’entière naïveté. Débarrassée de la candeur bêlante qui accepte tout — ne comprenant rien — tu ne peux avoir devant les tristes nécessités de la vie cette sérénité philosophique des gens qui ont beaucoup vécu. Il y a, dans ton esprit, quelques illusions que j’aime, des chimères que je dois combattre, un penchant au romanesque que je crains. Si femme que tu sois, mon amie, la jeune fille survit en toi par ce romanesque même et ce goût touchant de voir en beau les choses et les gens que tu aimes. Certes, depuis deux ans, tes yeux se sont ouverts sur les laideurs et les petitesses du monde où nous vivons ; mais ce spectacle t’a rejetée violemment à la recherche des sentiments extrêmes et des âmes rares… Je t’ai avoué, chère, bon nombre d’actions que tu voulais bien traiter de peccadilles, que le monde eût marquées d’un nom plus dur et que je juge, moi, parfaitement indifférentes. Il est certain qu’il n’y a ni bien ni mal absolus, mais des conflits perpétuels entre des forces nécessaires…

« Je ne veux pas entreprendre ici ma propre psychologie. Ce serait fastidieux et prétentieux. D’ailleurs, je suis persuadé que la notion du mérite est étrangère à l’amour et que l’estime réciproque de deux êtres s’ajoute à leur passion — souvent comme