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du foyer ! Vraiment, personne n’eût échappé à cette séduction, à ce charme sacré de la famille, centre d’honnêtes plaisirs et de calme repos, sans menaces, sans mystères.

Cependant ma main tremblait. Une inquiétude nerveuse m’oppressait. Je sentais l’ennui de mon rôle et cet accablement des femmes adultères qui mesurent tout à coup, dans la sécurité du foyer, le poids du mensonge et l’irritation — délice, jadis — de la vie double. Ne serais-je jamais chez moi, libre, responsable, maîtresse de ma personne ? La fade existence de jeune fille m’écœurait comme une hypocrisie. Ah ! partir, aimer, vivre ou bien rester, mais affranchie de tout secret, volontairement résignée et pure. Mornes pensées qui ne me quittaient plus !

M. Gannerault, après des réflexions sans intérêt, interpella soudain Maxime.

— Eh bien, mon garçon ! Et cette grande nouvelle que tu nous faisais pressentir ? Espères-tu ? Travailles-tu ?

— J’espère, répondit Maxime, que je travaillerai bientôt.

Le visage de mon parrain s’épanouit.

— Mais oui, reprit Maxime négligemment. J’ai quelques chances de me créer une situation assez brillante, assez sûre pour vivre honorablement. Qui sait ? Me marier peut-être.

Son regard glissa sur moi. J’eus un violent battement de cœur. Mon tuteur se prit à rire, d’un rire satisfait :

— Allons, tu te convertis. C’est bien. Mais cette situation ?

— Dépend de vous en grande partie.

— De moi ?

— Oui, mon père. N’avez-vous pas connu le marquis des Meuilles, ce millionnaire qui vient de fonder un journal, le Socialiste chrétien ?

— Le marquis des Meuilles ? Oui, je le connais. Ses fils ont passé par mon lycée. Oh ! c’est un vrai chevalier, un homme du xve siècle, hautain, fervent et ingénu.

— Oui, le don Quichotte des ralliés. Eh bien, père, vous me présenterez à lui.

— Comment ? À quel titre ?

— Mais à titre de collaborateur. Ni vous ni moi n’aurions à le regretter.

M. Gannerault témoigna d’un visible embarras :

— Je le voudrais bien,… mais… ton passé politique… Enfin, voyons, ta conscience t’interdit les palinodies… N’as-tu pas pré-