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quand je demande, bien tendrement, ma récompense, tu me réponds que tes actes contrediraient tes sentiments. Peux-tu te marchander ainsi !

— J’ai ma fierté. Une autre, hier ; moi, demain. La même chambre, le même lit. Ah ! je n’avais pas rêvé ces noces-là ! Le dégoût…

— Tu n’as pas toujours été si dégoûtée. Ne force pas ton talent, mon amie. Les attitudes lamartiniennes ne te vont pas. Certes, j’admets que tu as une âme, une âme pure, éthérée, qui plane trop haut pour s’apercevoir des frasques de son enveloppe matérielle. Mais épargne-moi l’hymne du remords à son réveil.

— Maladroit ! dis-je en haussant les épaules. Tu ne sais pas ce que tu perds.

Cette phrase le fit tressaillir. Il sentit qu’il faisait fausse route et, changeant de ton, il reprit :

— Pardonne-moi mes brutalités. Je suis nerveux et irritable en ce moment. Pardonne-moi, Marianne.

Son humilité ne me toucha guère. Je répondis à son étreinte par un froid baiser sans plaisir. Il parut réfléchir sérieusement.

— Écoute, me dit-il, en me maintenant sur ses genoux, puisque tu l’exiges, je te dirai des choses que… que ta jeunesse, ton ignorance de la vie, t’empêcheront peut-être de comprendre. Oh ! calme-toi, ce secret, trop divulgué pour notre malheur, n’est pas un secret d’amour. Tu sauras que la nécessité…

J’entendis le pas de mon tuteur dans l’antichambre. D’un bond, je fus à l’autre bout du salon, interdite et pâle comme une coupable. Maxime, toujours maître de lui-même, feignit de feuilleter un album.


XVII

Nous étions assis à table, Maxime en face de moi, entre son père et sa mère. La grosse lampe de cuivre, dans la suspension hollandaise, épandait sa bonne lumière, son doux rayonnement familier. Comme elle était paisible, la grande salle à manger, avec ses meubles sombres, ses faïences fleuries et la jolie note blanche du couvert égayé de vibrations cristallines ! Un étranger, certes, se fut attendri devant le tableau d’intérieur que formaient les vieux parents, le jeune homme, la jeune fille, orgueil et joie