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places la grisaille, chaque jour plus argentée, de ses cheveux. Les paupières flétries, les pommettes couperosées, la saillie du globe oculaire, indiquaient les progrès rapides de la maladie de cœur. Mme Gannerault, inquiète, rapprochée par la solitude et les chagrins du vieux compagnon de sa vie, s’empressait auprès de lui avec douceur.

— Pierre, que crains-tu ? Maxime ne t’a-t-il pas donné toutes les explications désirables ?

— Il me les a données, oui, bien tard. Dans quel intérêt Héribert eût-il calomnié mon fils ?

— Aie donc confiance, mon ami. Héribert a été trompé par un homme dont la rancune, explicable après tout, ne légitime pas les accusations. Cette Mme de Charny, après sa fugue…

— Chut !

M. Gannerault me désigna du regard. Sa femme se tut.

Mais le nom de Mme de Charny, saisi au passage, avait surexcité ma curiosité.

Il était cinq heures. Sur l’avenue, dans le crépuscule de novembre, humide et doux, les becs de gaz jaunes clignotaient déjà sous les marronniers sans feuilles. Mon tuteur se leva :

— Je vais faire un tour avant le dîner. J’achèterai les journaux du soir. Tu devrais m’accompagner, Marie.

— Avec plaisir.

Ma marraine s’habilla et au moment de sortir :

— Maxime viendra peut-être. Retiens-le à dîner, n’est-ce pas ?

Penchée au balcon, je les regardai s’éloigner, lui courbé et menu, elle un peu lourde dans son élégance de belle femme. J’étais triste. Leur court dialogue avait remué les sentiments complexes et les vœux confus de mon cœur.

Mme de Charny ? Pourquoi une émotion me venait-elle de ce nom, entendu jadis avec indifférence ? Quelle obscure jalousie naissait dans mon âme sans passion, dans ma chair sans désir ? Ce n’était plus seulement mon orgueil qui se révoltait. Je savais qu’Héribert, poussé à bout par les instances de M. Gannerault, lui avait brutalement révélé les amours de Maxime. Mais si naïf, si bourgeois que fût mon tuteur, il ne pouvait que regretter une liaison compromettante, sans crier au crime et au déshonneur. Maxime avait une maîtresse ; cette maîtresse, mariée et séparée — non point divorcée — mère de famille, d’âge incertain ou trop