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tendre, l’amour promis à toute créature et peut-être en marche vers toi !

« Mais je veux aimer Maxime. Je l’épouserai. Je ne puis, je ne dois pas en aimer un autre. Mais je réserverai pour un avenir indéfini le don de ma personne. Je veux connaître l’amour dans l’amour. »

Vers l’heure du dîner, je me retrouvai en face de Maxime. Mes regards évitèrent les siens sans qu’il s’offensât de cette rétrospective et muette pudeur. Les joues de Mme Gannerault montraient des traces de larmes. Le repas s’acheva tristement. Un crépuscule verdâtre étendait sur la campagne un reflet livide tombant d’aplomb entre les nuages noirs. Un lointain orage roulait vers l’ouest. Dans les cours des fermes, les chiens surexcités aboyaient avec inquiétude.

— Voici l’heure du train, dit Maxime. Je crois que j’ai oublié un livre dans le jardin. Veux-tu m’aider à le chercher, Marianne ?

Je descendis. L’herbe humide mouillait mes pantoufles. Au bord de la mare un crapaud chantait, flûte de cristal montant vers la nuit où roulaient des vapeurs monstrueuses. La mélancolie du soir oppressa mon cœur.

— Marianne ! dit Maxime, tu t’es donnée à moi. Crois-tu que tu puisses appartenir a un autre sans commettre une double trahison ?

— Non, Maxime.

— Bien ! dit-il, cela suffit. Embrasse-moi !

Il me prit sur sa poitrine. Une détresse m’envahit, noire, confuse, profonde, et je fondis en pleurs.


XVI

M. Gannerault, pensif, tisonna les cendres du foyer.

— Marie, dit-il à sa femme, n’attendais-tu pas Maxime aujourd’hui ?

— Maxime a été empêché sans doute. Il ne faut pas lui garder rancune, mon ami. Vois comme il est revenu à nous spontanément, affectueusement, sans arrière-pensée.

— Hélas ! fit mon tuteur.

Une mélancolie inclinait sa tête chauve où floconnait par