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leur me suffoquait. J’enlevai mon chapeau, j’ouvris le haut de ma robe dont la toile écrue collait sur ma peau. Le jeune homme caressa doucement mes joues d’un souple éventail de fougères.

— Ma petite Marianne ! que tu es jolie ! Que je suis heureux de te voir. Laisse-moi l’embrasser. Oh ! depuis ce matin, je suis affamé de tes lèvres.

Il se penchait vers moi. Je l’écartai en souriant :

— Explique d’abord ta conduite. Méchant, méchant garçon qui nous a mis au désespoir ! Qu’as-tu fait ? Qu’as-tu dit ? Ton pauvre père…

— Oh ! dit-il d’un air d’ennui, ne me fais pas de morale. Sais-tu que pour cette heure de solitude inespérée j’ai accepté le risque des sermons de maman ? Ne prêche pas, Marianne.

— Tu ne devais pas avoir de secrets pour moi.

— Je n’ai aucun secret.

— Que t’a dit ton père ?

Il haussa les épaules.

— Il m’a rapporté d’ineptes racontars. Un individu, son collègue, je crois, qui a voyagé en Russie, a parlé de ma liaison probable avec Mme de Charny. D’où fureur du père Gannerault. Que diable ! j’ai vingt-neuf ans bientôt. Je n’entends pas qu’on se mêle de mes affaires.

— C’est tout ?

— Oui, c’est tout.

— Ah !…

— Tu ne me crois pas ?

— Ton père est-il si naïf que de crier au déshonneur parce que tu as une maîtresse ?

— Mon père est un bon bourgeois. Ne parlons plus de lui. Je ne suis pas si féroce que tu crois. J’ai séduit maman pour te plaire, Marianne.

— Je suis contente de toi. Mais pour que je sois heureuse tout à fait, il faut que tu fasses ta paix avec tes parents. Je crois qu’ils approuveraient notre mariage. Si nous devons nous marier !…

— Quel doute injurieux !

— Tu m’obéiras !

— Soyez tranquille, mademoiselle. J’ai un projet.

— Ah ! dis-je en répondant à son baiser, que je t’aime quand tu es bon et doux comme aujourd’hui ! Nos querelles me faisaient tant de mal !