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AVANT L’AMOUR[1]


Ni mon parrain, ni sa femme ne me révélèrent jamais les causes de cette scène cruelle. Je devais les apprendre, un jour, de la bouche de Maxime lui-même et avec elles le secret de Favrot, devenu le secret d’Héribert. Qui m’eût dit pourtant, lorsque je consolais M. Gannerault, en essayant d’excuser Maxime, que ce triste secret de ses fautes et de ses faiblesses deviendrait un des facteurs de ma destinée ? Je ne soupçonnais rien. Malgré les malentendus qui avaient aigri notre intimité de famille, mon affection pour M. et Mme Gannerault s’était réveillée plus vive au spectacle de leur douleur. Une respectueuse reconnaissance m’attachait à mon parrain et plus indulgente, éclairée par la vie, je commençais à comprendre et à excuser Mme Gannerault. J’avais souffert auprès d’elle et par elle, parce que les esprits fermes supportent mal la provisoire autorité d’esprits étroits et irrésolus dont ils sentent l’infériorité et les vaines exigences. Mais s’il y avait entre nous antipathie de tempérament et d’intelligence, il n’y avait point antipathie de cœur. Nous nous aimions par habitude plutôt que par élection, mais nous nous aimions depuis des années. Considérant tout à coup, hors du vertige où je vivais, la détresse de ces deux pauvres âmes, je rêvai de racheter mes ingrates impatiences, mes longs mensonges, mon intraitable orgueil. Et je me rapprochai d’elles, si tendre que je parvins à les reconquérir. Leur tendresse, leur émotion, à chaque témoignage de sollicitude que je leur donnais, suscitèrent en moi de graves pensées. Je connus le pressentiment du remords.

  1. Voir la Nouvelle Revue des 15 octobre, 1er et 15 novembre 1896