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LES HYMNES À LA NUIT

elles la tendre pression et le mot caressant ? L’as-tu ornée de couleurs et d’un contour léger, ou est-ce Elle qui prêta à ta parure une plus haute et plus chère signification ? Quelles jouissances, quelles voluptés offrent ta vie, qui surpassent les ravissements de la mort ? Tout ce qui nous inspire n’a-t-il pas les couleurs de la Nuit ? Elle est Celle qui, maternelle, te porte, et tu lui es redevable de ta splendeur. Tu disparaîtrais en toi-même, tu te dissoudrais en l’espace sans fin si elle ne te retenait, ne t’enchaînait pour que tu deviennes chaude et enfantes le Monde.

En vérité, je fus avant que tu ne sois ; la Mère m’envoya, moi et ma race, habiter ton monde, pour le sanctifier par l’amour, pour donner un sens humain à tes créatures. Mûres, elles ne le sont pas encore, ces pensées divines, et les marques de notre présence sont toujours peu nombreuses. Un jour viendra où ton horloge dira la fin du Temps : lorsque, semblable à chacun de nous et rempli de désir, tu t’éteindras et mourras.

Déjà je sens en moi le terme de toute activité, la céleste Liberté, le bienheureux Retour ? Dans les violentes douleurs, je reconnais combien tu es loin de notre patrie et ta résistance à l’antique et superbe Ciel. Combien vaines ta fureur et ta rage ! Inconsummable, la croix se dresse, de notre race étendard victorieux. Vers là-bas, je chemine, pèlerin ; toute peine un jour deviendra un aiguillon pour la volupté. Peu de temps encore et libre, je reposerai enivré au giron de l’Amour. Une vie infinie descend sur moi ; mes regards vers toi s’abaissent. Contre cette colline ton éclat s’est brisé. Une ombre apporte la couronne qui rafraîchit. Oh ! aspire moi de toute ta force, Bien-Aimée, que bientôt je puisse m’endormir pour éternellement ! Je sens de la mort l’onde rajeunissante, et plein de courage, je reste ferme dans la tempête de la Vie.

V

Aux âges les plus reculés, régnait sur les races humaines répandues de toutes parts, muet et fort, un Destin de fer. Un bandeau sombre et lourd encerclait leur âme apeurée, et la Terre, séjour et patrie des Dieux, la Terre était sans fin. De formation mystérieuse, elle se tenait là, riche en joyaux et en prodiges ineffables. Par delà les cimes azurées du matin, dans le sein sacré de la Mer, demeurait le Soleil, vivant flambeau par qui tout s’allume. Un antique géant portait sur ses épaules le monde heureux. Au creux des montagnes se trouvaient les fils primor-