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LES HYMNES À LA NUIT

II

Faut-il que toujours revienne le matin ? La puissance du terrestre ne cessera-t-elle jamais ? Quelle activité funeste effraye l’approche de la Nuit ? Est-ce que jamais ne brûlera éternellement de l’amour le mystérieux holocauste ? Les heures de la lumière sont comptées, comme de la veille, mais hors du temps règne la Nuit et éternelle est la durée du Sommeil. Ô Sommeil sacré ! ne comble pas trop rarement de bonheur, en sa tâche terrestre, celui-là qui est voué à la Nuit ! Seuls les fous te méconnaissent et ne savent de tout sommeil que l’ombre que, par compassion, tu jettes sur nous en ce crépuscule de la Nuit véritable. Ils ne te sentent pas dans le flot doré des grappes, dans l’huile magique de l’amandier, non plus que dans le suc brun du pavot. Ils ignorent que c’est toi qui planes autour du sein de la tendre vierge et que par toi le giron devient un ciel. Et point ils ne soupçonnent qu’ouvrant les cieux tu t’avances devers nous, venu du fond d’antiques histoires, avec en main la clef du séjour des bienheureux, ô taciturne messager de mystères infinis !

III

Un jour que je répandais des larmes amères, alors que tout mon espoir, dissous en la douleur, s’évanouissait, et que, près du tertre aride qui, dans son étroit et sombre espace, enfermait la forme de ma vie, je me tenais solitaire, solitaire comme jamais nul ne fut, agité par une indicible angoisse, sans forces n’étant plus qu’une pensée de misère… Comme je cherchais autour de moi quelque secours, ne pouvant plus faire un pas en avant ni revenir, et que je restais là attaché, avec un désir infini, à cette vie fugitive et éteinte, alors voici que parut, au lointain des cimes de mon ancienne félicité, le premier frisson du crépuscule. Et, tout à coup, le cordon de la naissance, chaîne de la lumière, se rompit !… La splendeur terrestre s’en fut, et avec elle ma tristesse. En même temps s’épandait, toute, ma mélancolie en un monde nouveau, insondable. Et toi, Ivresse nocturne, Assoupissement des Cieux, tu descendis sur moi : doucement la contrée se souleva, et au-dessus de la contrée mon esprit, libéré, né à une seconde vie, plana. Le tertre se dispersa en un nuage de poussière, et, à travers ce nuage, je vis les traits transfigurés de l’Aimée. Dans ses yeux reposait l’Éternité… Je saisis ses mains,