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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

« Non, dit Étienne, je ne devine pas ». — « Eh bien ! mon cher, le Prince a jeté les yeux sur les Conseils d’arrondissement, tout simplement. Il s’est dit qu’il y avait là une force inutilisée. Jusqu’ici, les Conseillers d’arrondissement n’ont rien pu faire, emprisonnés qu’ils sont dans les règlements administratifs. Mais cette inaction leur pèse, d’autant que certains sont partis de là, pour demander leur suppression. Aux prochaines élections, tout l’effort monarchiste portera donc sur les Conseils d’arrondissement et un pointage très sérieux nous permet de compter sur une respectable majorité au premier tour dans 109 conseils et au ballottage dans 91 autres. Ce serait magnifique, n’est-ce pas ? » — « Et alors ? dit Étienne. À quoi cela vous avancera-t-il ? » — « Comment, à quoi cela nous avancera ? Mais les Conseils ainsi formés se lèveront à notre appel. » — « Ah ! Ils se lèveront ? » — « Comme un seul homme et ils constitueront au sein du gouvernement même des foyers d’action et d’influence royalistes. Et puis ce n’est pas tout. Le Prince donne beaucoup d’attention à la Presse en laquelle il reconnaît une des grandes forces de la civilisation moderne. Seulement, ses moyens ne lui permettent pas d’entretenir de nombreux journaux ; il a même dû supprimer la plupart des subventions, dont bénéficiaient jusqu’alors les petites feuilles de province qui, du reste, étaient loin de rapporter de la popularité en proportion de ce qu’elles coûtaient d’argent. Alors, il a eu de nouveau une idée étonnante. »

Étienne s’impatientait un peu en songeant à ses fleurets et aux coups de bouton perdus. Une horloge sonna six heures. « Oui, continua imperturbablement le vicomte, il a institué un office central, où un certain nombre de jeunes écrivains politiques sont occupés à rédiger des articles sur les questions actuelles et à présenter sous un jour satisfaisant les solutions qu’y apporterait la monarchie. Et ces articles sont expédiés à des journaux incolores qui les insèrent moyennant un léger paiement. De la sorte on dépense moins puisqu’on ne paie que les articles insérés, et ces articles paraissant dans des journaux non taxés de monarchisme, agissent bien plus fortement sur l’opinion. Avouez que c’est très fort. » Étienne avoua. D’Orbec allait entrer dans d’autres considérations sur les chances prochaines de restauration, quand il se rappela soudain qu’il avait un rendez-vous pour 5 heures et demie — une charmante veuve qui pensait à convoler et voulait le consulter. Il prit la main d’Étienne : « Enfin, mon cher Crussène, dit-il, réflé-