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LA NOUVELLE REVUE

du pont de Solférino. Étienne était intrigué. « Mon cher, dit d’Orbec après un instant de silence, vous n’ignorez pas que Monseigneur le duc d’Orléans réorganise son service d’honneur. » Il parlait avec une sorte de solennité respectueuse. « Le Prince continua d’Orbec, est naturellement désireux d’avoir auprès de lui des représentants des grandes familles françaises. Mais il les veut jeunes, instruits, intelligents… il y tient beaucoup… j’ai pensé à vous » ; il s’arrêta pour juger de l’effet de ses paroles. — « Merci beaucoup, dit simplement Étienne ; vous êtes très aimable d’avoir pensé à moi ; mais je vous avouerai que cela ne me conviendrait pas du tout ». D’Orbec, un peu offusqué reprit : « Je ne vous cacherai pas, mon cher Crussène, que votre nom a été prononcé devant le Prince et que Monseigneur a daigné approuver l’idée que je me permettais de lui suggérer » — « J’en suis très touché, répondit Étienne, mais je tiens à garder toute ma liberté et d’ailleurs je vous le répète, un semblable poste, quelque honorable qu’il soit, ne me conviendrait pas ».

— « Allons, fit d’Orbec avec un sourire mystérieux, je vois qu’il faut employer les grands moyens ; écoutez bien ce que je vais vous dire et promettez moi seulement de n’en souffler mot à qui que ce soit » ; et sans attendre l’engagement du jeune homme, il continua en baissant la voix comme pour une confidence grave : « Vous ne vous souciez pas, je le vois bien, de remplir le rôle de gentilhomme de service parce que vous le trouvez monotone et pour tout dire au dessous de vos talents. Oh ! ne vous en défendez pas ! cela est tout naturel. Vous êtes fort intelligent, vous avez des vues personnelles ; je comprends très bien votre méfiance à l’endroit d’une fonction semblable. Aussi ne serait-elle dans ma pensée qu’un prélude. Le Prince, mon cher — et il marquait, en parlant, une sorte de conviction réfléchie qui stupéfiait Étienne — le Prince est plus près du trône que vous ne le croyez. La prison, l’exil, la mort de son père l’ont mûri ; il travaille énormément, se tient au courant de tout et apporte dans le maniement des hommes et dans l’organisation de son parti un mélange de décision et de prudence tout à fait remarquable. Il est question pour lui d’un mariage magnifique qui lui permettrait, une fois sur le trône, de renouveler au profit de la France, tout le système des alliances européennes. Enfin il a arrêté le plan de la prochaine campagne électorale et cette fois, je crois que nous tenons le succès. Vous ne devinerez jamais quelle idée simple et admirable il a eue ? »