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LA NOUVELLE REVUE

je désire m’en aller ». L’excellente madame d’Alluin s’étonna de plus en plus. « Mais Éliane, tout le monde est si gentil pour nous !… quelle indélicatesse y aurait-il à rester ? » Les yeux de la jeune fille se relevèrent et avec une audace tranquille qui jouait la parfaite franchise ; « Marguerite, dit-elle, je ne pourrai jamais me faire à l’idée de ce mariage ». Pour le coup, la comtesse demeura stupéfaite. « Oui, reprit Éliane, je savais combien vous le désiriez tous et j’ai fait ce que j’ai pu… mais c’est fini ! Je ne m’habituerai jamais… alors je trouve que c’est mieux de s’en aller ». Éliane se pencha vers sa sœur et appuya sa déclaration d’une tendre caresse. Celle-ci lui rendit son étreinte ; elle était touchée de tant de gentillesse et de droiture d’âme. « Ma chérie, dit-elle, ne te tracasse pas ; sans doute, nous le désirions, car cela semblait devoir assurer ton bonheur ; mais s’il doit en être autrement, il ne faut plus y penser. Il faut s’en remettre à Dieu qui arrange les événements pour le bien de tous… c’est drôle, ajouta-t-elle après un silence, j’avais cru remarquer qu’il te plaisait beaucoup ».

Éliane rougit un peu. « Oh ! fit-elle, il est très gentil… » — « Oui, dit la comtesse, très gentil et très sérieux… Est-ce que tu le trouves trop sérieux ? » — « Non, non… ce n’est pas cela ». Puis ramenant la conversation qu’elle ne voulait pas laisser s’égarer : « Seulement, conclut-elle, du moment que je sens que je devrai refuser s’il me demande, il est plus honnête… je veux dire plus délicat de se retirer tout de suite ». Elle avait hésité en prononçant le mot honnête. Si peu habituée qu’elle fût à scruter sa conscience, cette série de mensonges lui pesait. Elle se leva : « N’est-ce pas, dit elle, d’un ton décidé, tu me promets d’insister auprès de Paul pour que nous partions bientôt ? » Sur la réponse affirmative de madame d’Alluin, elle sortit légère, en envoyant un baiser du bout de ses doigts roses. La comtesse demeura perplexe.

À la même heure, Étienne dans son fumoir lisait avec de longs battements de cœur, une lettre que le facteur venait d’apporter. Elle était timbrée de Washington et datée du 24 janvier. « Mon cher Étienne, écrivait Mary, j’ai lu avec un bien grand plaisir les détails intéressants que vous me donniez sur votre voyage et votre arrivée en Bretagne. C’est une vraie joie de penser que vous êtes de nouveau dans le home et que néanmoins vous n’oubliez pas les amis que vous ayez laissés de ce côté-ci de l’océan. Votre mère doit être si heureuse de vous revoir et moi je me