Page:La Nouvelle Revue - 1899 - tome 117.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
LA NOUVELLE REVUE

je ne veux pas vous le présenter parce qu’il vous dirait du mal de moi. » Ada s’éloigne, légère et rieuse, et Étienne si brusquement tiré de son cauchemar descend les escaliers de marbre un peu étourdi. Il se répète machinalement les paroles de Miss Jerkins : « Il faut soigner cela… vous devez être amoureux. » Et cette réflexion lui vient qui s’empare aussitôt de lui et le trouble de nouveau : « Si vraiment je suis amoureux c’est le salut. »

IV

Il fut un temps ou l’albâtre, l’onyx et les incrustations en pierres dures étaient à la mode en Europe. Sur les cheminées se prélassaient des garnitures complètes, pendule, flambeaux et vases à fleurs ; sur les étagères, des cadres de photographies, sur les tables à écrire, d’énormes encriers… et tout cela était en albâtre, ou en onyx, égayé par le relief de quelque traîne de verdure ou de quelque bouquet champêtre dont les fleurs et les feuilles taillées dans des cailloux de nuances variées ajoutaient à l’aspect glacial et compassé de l’ensemble. Vers la fin du second empire ce genre d’objets décorait les villas des environs de Paris et les chalets des stations balnéaires. Après la guerre, on n’en vit plus. On s’imagina que les officiers prussiens avaient de préférence introduit dans leurs bagages ces souvenirs de leur « excursion » en France. Cette idée servit même le talent d’Alphonse Daudet et lui inspira un délicieux petit conte connu de tous « la Pendule de Bougival. » Or les Français se trompaient, leurs bibelots d’albâtre et d’onyx avaient pris une route différente. Ils formaient sur la terre d’Amérique, un extraordinaire musée créé par les soins de Miss Mabel et de Miss Clara Simpson. Leur maison en était bondée depuis la première marche de l’escalier jusqu’au toit en terrasse où chaque printemps les aimables demoiselles conviaient leurs amis à une série de « soirées astronomiques » (astronomical evenings). Ces soirées se passaient à regarder les étoiles avec des lorgnettes de théâtre en entendant lire des vers coupés de renseignements mathématiques sur le monde sidéral. C’était la conclusion et le couronnement des « causeries du lundi » comme Miss Mabel nommait leurs matinées bi-mensuelles, non sans exprimer le regret que Sainte-Beuve qu’elle persistait à appeler « Sint-Biouve » ait eu la malchance de n’y point prendre part.

Du fait de tous les petits monuments blanchâtres qui l’emplis-