Page:La Nouvelle Revue - 1899 - tome 117.djvu/464

Cette page a été validée par deux contributeurs.
467
LE ROMAN D’UN RALLIÉ

était comparé au prince Louis-Napoléon et M. de Fourtou à M. de Maupas. Une ironie âpre en faisait le fond et du rapprochement entre les deux dates (1851-1877), le jeune rédacteur tirait des conclusions serrées susceptibles d’agir sur l’opinion. Un avis comminatoire vint de la préfecture le soir même. Vilaret n’en tint aucun compte et le vendredi suivant parut son second article « Les valets de M. de Fourtou », dans lequel il prenait à partie les fonctionnaires du 16 Mai en termes offensants. Cette fois le numéro fut saisi avant même d’avoir pu être mis en vente. « Qu’allons-nous faire ? » dit le directeur, penaud que les limiers gouvernementaux aient pu tout rafler d’un seul coup. — « Réimprimer le numéro et le distribuer gratuitement », répondit Vilaret. Le directeur s’alarma. « Y pensez-vous ? Cela coûtera très cher ; la police reviendra, brisera les presses et supprimera le journal ; d’ailleurs les ouvriers sont absents ». Vilaret ne se démontait pas. « La suppression du journal, dit-il, c’est son triomphe assuré dans six mois, et quant aux ouvriers je me charge bien d’en réunir quelques-uns ; et puis vous, le prote et moi, nous ferons au besoin la besogne à nous trois ».

À la fin de l’après-midi le tirage était achevé. Des porteurs se partagèrent les feuilles encore humides et se répandirent par la ville. Vilaret était avec eux, ayant lui-même un ballot sur le bras ; il alla avec ostentation se poster devant la préfecture et distribua sa marchandise aux passants. Deux heures après il était arrêté et le lendemain le Progrès républicain était supprimé. Tout cela fit grand bruit dans Rennes et le nom d’Albert Vilaret fut sur toutes les lèvres. Ses anciens camarades du Lycée se montraient fiers de lui et son ex-professeur de philosophie, un vieux libéral, ne se tenait plus de joie. Il y eût une manifestation dans la rue quand l’affaire vint devant la justice. Le tribunal fut envahi ; on échangea des coups de canne, des vitres furent brisées. Le jeune héros, calme et dédaigneux, se borna à dire aux juges : « Vous ferez bien d’abuser de vos pouvoirs, ils prennent fin le 14 octobre ! » Le 14 octobre était le jour fixé pour les élections. Son insolence lui valut une aggravation de sévérité en même temps qu’une augmentation de popularité. Il fut condamné à une amende qu’il ne pouvait payer et à six mois de prison.

Deux mois plus tard, il était gracié. Le coup d’État avait échoué et le cabinet du 16 Mai venait d’être renversé par la nouvelle Chambre. Albert Vilaret n’avait pas perdu son temps en prison, ses amis l’ayant abondamment pourvu de livres. Ils l’avaient aussi