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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

avaient pourtant passé sur cette rencontre juvénile et à cet âge là, un pareil laps de temps correspond à la plus radicale des transformations, celle qui fait de deux enfants dont la psychologie et la physiologie étaient encore incertaines, un homme et une femme capables de donner la vie à leur tour.

Ce fut donc en toute quiétude d’esprit que, le jour fixé pour l’arrivée de ses cousins, Étienne se dirigea à cheval du côté de Poullaouen, avec l’intention d’aller au devant d’eux et de leur faire escorte. Ils arrivaient quatre : M. et Mme d’Alluin, le petit André et Éliane d’Anxtot. Sans y avoir réfléchi, car ses réflexions le plus souvent l’emportaient bien au delà de l’horizon, Étienne s’attendait à apercevoir au fond du landau découvert les physionomies placides du comte et de la comtesse, puis, sur le devant, les cheveux bouclés de leur fils et les yeux rieurs de la « petite Éliane ». De loin il vit venir la voiture et distingua deux femmes dont l’une avait sur son chapeau quelque chose comme une envolée d’oiseaux blancs, les ailes étendues… Qui diable amènent-ils là ? pensa le jeune homme perplexe, et Rob-Roy reçut l’ordre de trotter un peu plus vite. La voiture s’arrêta ; le cocher souriait, les yeux à terre, d’un air à la fois plein de finesse et de discrétion ; il avait flairé, lui, la « fiancée éventuelle », et la trouvait à son gré. Étienne ahuri, ôta son chapeau et se penchant vers la comtesse lui serra la main, puis salua sa voisine d’un air interrogateur… Celle-ci leva son voile et cria, joyeuse : « Il ne me reconnaît pas ! Eh bien moi, je vous aurais reconnu d’une demi-lieue ! Vous n’avez pas changé ! »

Une rougeur lui sauta aux joues, que la jeune fille prit aussitôt pour le gage de l’admiration produite par sa beauté et qui était, en réalité, l’expression d’une sourde colère qui se formait en lui. Il comprit d’un coup l’arrière-pensée de sa mère et la portée de cette visite et en éprouva une véritable rage. C’est Mary qu’il avait ramenée avec lui ; c’est avec le souvenir de Mary qu’il vivait ; c’est elle qui l’accompagnait dans ses promenades, qui conversait avec lui au coin du feu. À force d’être évoqué, ce souvenir était devenu une sorte de présence. Que venait faire cette intruse au travers de son amour ?… La colère mobilisait tous ses muscles qui se tendirent, tandis qu’une étincelle de défi enflammait son regard. Rob-Roy qui avait du sang, s’échauffa par contact et s’agita. Éliane trouva le tableau charmant, remarqua le feutre mou crânement posé de côté sur la tête du cavalier, les attaches très fines de