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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

disposait à ne pas se montrer exigeante sur les chapitres de la naissance et de la fortune. Les d’Anxtot du reste, étaient de très bonne noblesse normande et le mariage de l’aînée avec l’héritier de l’illustre maison d’Alluin avait singulièrement accru leur prestige. Quant à la dot dont le chiffre n’était pas très élevé, Étienne était riche pour deux et ce ne serait sûrement pas une objection à ses yeux.

Le voyage d’Amérique dérangea les plans de la marquise, encore qu’ils fussent, à cette époque, un peu embryonnaires faute de quelques détails qui lui manquaient. En l’absence d’Étienne elle continua son enquête et ne recueillit que des renseignements favorables. Elle espérait d’autre part que son fils reviendrait assagi, plus maniable et mieux disposé à entrer dans ses vues qui, elle en était certaine, étaient le plus avantageuses pour son avenir. L’arrêt prolongé à Washington lui causa une vive inquiétude. Elle aperçut soudain le péril qu’elle avait dédaigné ; elle conçut un type d’Américaine qui se rapprochait plus de la rudesse des ranches de l’Ouest que de la distinction élégante des salons de Washington et vécut enfiévrée par la crainte de voir Kérarvro aux mains d’une maîtresse de maison exotique et anguleuse qui aurait des cheveux courts, des gestes de garçon et des jupes de gros drap beige. L’annonce du retour ne suffit pas à calmer ses appréhensions. Mais quand Étienne eût repris sa place auprès d’elle, elle fut enfin rassurée, Elle entrevit une partie de la vérité, comprit que son fils s’était épris là-bas d’une femme — peut-être d’une femme mariée et crut qu’il avait eu le courage de s’arracher à une passion déraisonnable et sans issue. Ainsi s’expliquait qu’il eut l’air triste et fatigué. Elle lui sut de cette victoire imaginaire un gré infini et chercha à l’en récompenser par des attentions sans nombre. Elle mit une délicatesse extrême à détourner tout sujet de conversation susceptible d’aviver ses regrets. Elle l’interrogea sur son voyage avec un tel tact qu’il ne fut jamais embarrassé pour répondre. Enfin elle lui annonça comme la chose la plus naturelle du monde que sa cousine d’Alluin devait amener sa sœur avec elle. Étienne distrait ne broncha pas, et la marquise, songeant à l’Américaine tant redoutée, se dit : ce n’était pas une jeune fille — ce qui la satisfit pleinement.

Étienne à coup sûr eût préféré la solitude. Mais d’autre part il n’était pas fâché d’avoir un prétexte vis-à-vis de lui-même pour reculer une décision qui, chaque jour lui semblait plus difficile à