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Dans son triste désert mental
Résonne en notes assourdies,
Comme un doux soupir de cristal,
L’âme des vieilles comédies.

Il désapprend son air fatal :
À travers les blancs incendies
Des Lunes dans l’onde attiédies,
Son regret vole au ciel natal
Comme un doux soupir de cristal.


X
PARFUMS DE BERGAME

Ô vieux parfum vaporisé
Dont mes narines sont grisées !
Les douces et folles risées
Tournent dans l’air subtilisé.

Désir enfin réalisé
Des choses longtemps méprisées :
Ô vieux parfum vaporisé,
Dont mes narines sont grisées !

Le charme du spleen est brisé :
Par mes fenêtres irisées,
Je revois les bleus Élysées
Où Watteau s’est éternisé.
Ô vieux parfum vaporisé !


XI
BLANCHEURS SACRÉES

Blancheurs de la Neige et des Cygnes,
Blancheurs de la Lune et du Lys,
Vous étiez, aux jours abolis,
De Pierrot les pâles insignes !

Il vous dédiait de beaux signes
Dans la féerie ensevelis ;
Blancheurs de la Neige et des Cygnes,
Blancheurs de la Lune et du Lys !

Le mépris des choses indignes,
Le dégoût des cœurs amollis
Sont les préceptes que je lis
Dans le triomphe de vos ligne,
Blancheurs de la Neige et des Cygnes !


XII
DÉPART DE PIERROT

Un rayon de Lune est la rame,
Un blanc nénuphar, la chaloupe ;
Il regagne, la brise en poupe,
Sur un fleuve pâle, Bergame.

Le flot chante une humide gamme
Sous la nacelle qui le coupe.
Un rayon de Lune est la rame,
Un blanc nénuphar, la chaloupé.

Le neigeux roi du mimodrame
Redresse fièrement sa houppe :
Comme du punch dans une coupe,
Le vague horizon vert s’enflamme.
Un rayon de Lune est la rame.


XIII
LUNE AU LAVOIR

Comme une pâle lavandière
Elle lave ses failles blanches,
Ses bras d’argent hors de leurs manches
Au fil chantant de la rivière.

Les vents à travers la clairière
Soufflent dans leurs flûtes sans anches.
Comme une pâle lavandière
Elle lave ses failles blanches.

La céleste et douce ouvrière
Nouant sa jupe sur ses hanches,
Sous le baiser frôlant des branches
Étend son linge de lumière,

Comme une pâle lavandière.
Albert Giraud