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fait songer aux sauces de Bouguereau et de Cabanel. Plus loin on croit découvrir du Herbo en petit savoyard.

Je me sens impitoyable pour M. Van Landuyt, d’autant qu’on m’assure qu’il a du talent, que c’est un travailleur. En ce cas-là, il lui faut la vérité crue, toute crue, saignante.

M. Schouten prend place parmi les jeunes qui vendent beaucoup. Il y a dans sa peinture de la vigueur et de la force, bien qu’elle s’annihile souvent par un néant de personnalité. C’était hier du De Haas ; aujourd’hui c’est du Verwée. L’impression manque : on ne voit pas dans les toiles de l’artiste dont je parle, ces coins de nature aimés, traités avec tendresse et entrant avec leur intimité dans l’âme. Ses animaux eux-mêmes, bâtis à chaux et à sable, sont quelconques. Il travaille au débotté, n’attend pas, pour la peindre, que la scène lui soit familière et ne nous fait par conséquent rien ressentir, ne sentant rien lui-même.

Un portrait à signaler est celui de M. Lampe ; de même les paysages de Van Damme, remarquables par leur coloris agréable et juste. Les œuvres de ces deux peintres détonnent quelque peu sur l’impression grisaille de l’ensemble, sur l’uniforme médiocrité de leurs voisins.

J’excepte toutefois M. Delsaux et le mets carrément à la tête des exposants. Il y a chez lui des qualités de vrai paysagiste, une franchise d’exécution peu commune, une incontestable habileté à trouver le ton juste et lumineux. Certes, ses toiles ne sont pas assez poussées et ne sortent point pour la plupart de l’enfance de l’étude, mais qu’importe ! Ses Brétèques sur la Sambre et la Sambre à Namur, dans leurs tonalités grises et brunes, opèrent ce tour de force de charme, malgré leurs couleurs ingrates et donnent une prodigieuse illusion de réalité et de vie. Ce sont deux tableaux remarquables et conçus dans des données originales. L’artiste aime d’ailleurs ces vues de canaux et de rivières, qui semblent charrier de la poésie à fleur d’eau. Rien n’est plus intime et ne donne, en temps de soleil, plus joyeux motif à peinture savante et fine. Les vieux murs, les campaniles gris, les passerelles, les pignons blancs, les toits rouges tentent toujours, et doivent tenter particulièrement M. Delsaux, puisque l’eau, cette eau qu’il mouvemente ou apaise si magistralement du pinceau, a la bonne idée de refléter presque toujours ces coins de ville.

Il me resterait à dire un peu de bien de Surinx, Wouters, Coenraets, Hoorinx et beaucoup de mal de Paumen, Dupuis, Carpentier.

Je préfère ajourner la critique de leurs essais à l’an prochain, avec l’intention de leur consacrer alors un important paragraphe et, si possible, un tas de bons points — à tous.

Émile Verhaeren.