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Vers dix heures, lorsque je passai sur le boulevard, devant le café où règne le Bock aux blondeurs germaines et la fée verte opalisée des poètes, je vis la petite vieille vendre ses journaux.

Des rayons de soleil jouaient dans les rubans crasseux de sa coiffe, miroitaient sur ses bandeaux argentés et projetaient en larges flaques noires les contours grotesques de son ombre sur les dalles poudreuses.

Elle arrivait de nouveau vers moi…

Je descendis instinctivement du trottoir.

Était-ce réellement peur ? Je ne crois pas.

J’aurais dû réagir et rester en place, mais que voulez-vous, ce mouvement était peut-être indiqué dans l’ordre nécessaire des choses.

Georges Bauwens.




RÊVE INDIEN



Après avoir, suivant l’antique rituel, plongé par trois fois son pied rose dans les ondes nacrées du Miellos, Vichtra, la blonde Maharabite, regardait longuement le remous léger et limpide du fleuve sacré.

Les larges eucalyptus, les manguiers rameux, les palmiers gigantesques qui se pressaient sur le rivage, s’harmonisaient dans un concert merveilleux, pour projeter sur les eaux bleues et pailletées les vifs rayons du soleil ardent, leur douceur veloutée, leur pénombre bienfaisante et noire. C’était comme une oasis au milieu du flamboîment intense de la nature ensoleillée : là, dans les feuillages, on apercevait encore par moments les plumes éblouissantes des bengalis à la voix chaude ou des vifs loris aux cent mille nuances, tandis que tout être vivant semblait avoir fui la fournaise irradiante du soleil tropical dans tous les alentours.

Vichtra, la belle blonde, contemplait, pensive, ce spectacle radieux de lumière et de sérénité.

Les brahmes avaient cessé leurs cantiques ; les libations s’achevaient dans le silence et le recueillement de la prière ; bientôt allait s’accomplir