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POÉSIES

I.


LA RONDE DES SOUVENIRS.


Lentement, accablés chacun de leur fardeau.
Les souvenirs amers font le tour de mon âme ;
À les voir s’avancer on songe au cercle infâme
D’un groupe de forçats tournant dans un préau.

Les uns ont le stigmate horrible sur la peau ;
D’autres lugubrement, le front bas, l’œil sans flamme,
Passent avec des pleurs et des sanglots de femme ;
D’autres vaguent, le sein traversé d’un couteau.

Et tous nous les sentons marcher, marcher sans trêve,
Le jour dans la pensée et la nuit dans le rêve.
Pour régler leurs pas lourds on dit que le cœur bat.

Rien n’est funèbre et noir comme leur lent cortège,
Allant toujours, malgré vent, pluie, orage, neige ;
Et laissant après lui du sang, comme un combat.


Émile Verhaeren.





LA NYMPHE.

à Émile Van Arenbergh.


La nymphe sort de l’onde, et la nudité fière
De son corps musical en son rhythme divin
Laisse, à travers la noire épaisseur du ravin,
Un écho prolongé de vibrante lumière.