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les mains, sans le quitter dans les exercices les plus profanes et les plus opposés aux bonnes mœurs. Ils ont quelques autres usages d’une piété assez mal entendue. À la messe, par exemple, lorsque le prêtre lève l’hostie consacrée, ils lèvent tous le bras, comme s’ils voulaient la montrer, et crient deux ou trois fois de toute leur force, misericordia ! Ils poussent un cri bien plus effrayant, au rapport de quelques voyageurs modernes, lorsque, se précipitant vers le lieu où l’on exécute les autodafé, et pleins de cette curiosité barbare qui se permet le spectacle d’un supplice, ils répètent, en se pressant les uns sur les autres, à l’aspect d’un juif qu’on va brûler, judeo ! judeo ! Ce murmure sourd, ce frémissement d’une rage pieuse (je le répète d’après un voyageur français qui en a été témoin) fait frissonner jusqu’au fond de l’âme ; il semble qu’alors tout un peuple soit composé de bourreaux. En général, tout ce qu’on rapporte de cette nation prouve une dévotion sombre et mélancolique, un culte de terreur qui rappelle ce mot de La Bruyère : « Il y a des gens dont on peut dire, non pas qu’ils craignent Dieu, mais qu’ils en ont peur. » On pourrait citer aussi ce beau vers de la tragédie d’Oreste qui peint Clytemnestre tremblant devant les dieux :

Elle semblait les craindre, et non les adorer.