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viron soixante deux-ans ; il avait la taille haute, l’air grave et sévère, et le regard d’un prince généreux.

» Aussitôt qu’il fut entré dans une grande place, qui était devant la porte de la ville, il s’éleva un si grand cri des femmes, des enfans et des vieillards qui s’étaient rassemblés dans ce lieu pour le voir passer, qu’on les aurait crus tous dans les plus douloureux tourmens, ou près de recevoir le coup de la mort. Ce bruit funeste recommença six ou sept fois. La plupart de ces misérables se déchiraient le visage, ou se frappaient à coups de pierres, avec si peu de pitié pour eux-mêmes, qu’ils en étaient tout sanglans : les Bramas mêmes ne pouvaient retenir leurs pleurs. Ce fut dans cette place que la reine s’évanouit deux fois. Chambaïna descendit de son éléphant pour l’encourager, et, la voyant sans aucune marque de vie, quoiqu’elle ne cessât point de tenir ses enfans embrassés, il se mit à genoux près d’elle. Là, tournant ses regards vers le ciel, il passa quelques momens en prières ; ensuite, soit que les forces lui manquassent à lui-même, ou qu’il fût emporté par la violence de sa douleur, il se laissa tomber sur le visage près de la reine sa femme. À ce spectacle, l’assemblée, qui était innombrable, recommença tout d’un coup à pousser un si horrible cri, que toutes mes expressions ne sont pas capables de le représenter. Chambaïna, s’étant rélevé, jeta lui-même de l’eau sur le visage de sa femme, et lui rendit d’autres soins