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aux demandes de M. Banks, qui les lui répétait toujours avec plus d’impatience et d’intérêt. Pendant cette scène, M. Banks fut fort surpris d’apercevoir les autres insulaires qui parlaient et qui riaient entre eux, et ne faisaient aucune attention à la douleur de la Taïtienne. Mais la conduite de cette femme fut encore plus extraordinaire : dès que les plaies eurent cessé de saigner, elle leva les yeux, prit un air riant, et rassembla quelques pièces d’étoffe dont elle s’était servie pour étancher son sang ; elle en fit un paquet, les emporta hors de la tente, et les jeta dans la mer, ayant grand soin de les éparpiller, comme si elle eût voulu empêcher qu’on ne les vit, et faire oublier par-là le souvenir de ce qui venait de se passer ; elle se plongea ensuite dans la rivière, se lava tout le corps, et revint dans nos tentes avec autant de gaieté et le visage aussi joyeux que s’il ne lui était rien arrivé.

» Il n’est pas étrange que le chagrin de ces peuples sans art soit passager, et qu’ils expriment sur-le-champ et d’une manière forte les mouvemens dont leur âme est agitée. Ils n’ont jamais appris à déguiser ou à cacher ce qu’ils sentent ; et, comme ils n’ont point de ces pensées habituelles qui sans cesse rappellent le passé et anticipent l’avenir, ils sont affectés par toutes les variations du moment, ils en prennent le caractère, et changent de dispositions toutes les fois que les circonstances changent ; ils ne suivent point de projet d’un jour