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en allégeant le bâtiment de manière qu’il tirât autant de pieds d’eau de moins que la marée en avait déjà perdu, nous ne nous serions trouvés que dans le même état où nous étions au premier instant de l’accident. Le seul avantage que nous procurait cette circonstance, c’est qu’à mesure que la marée descendait, le bâtiment se fixait sur les rochers et ne battait pas avec autant de violence. Nous avions quelque espoir sur la marée suivante ; mais il était incertain que le bâtiment pût tenir jusqu’alors ; d’autant plus que le rocher raclait sa quille sous l’avant à tribord avec une si grande force, qu’on entendait le bruit de la soute de l’avant. Notre situation ne nous permettait pas de perdre le temps à des conjectures ; nous fîmes donc tous nos efforts pour opérer une délivrance que nous n’osions espérer. Les pompes travaillèrent sur-le-champ ; nous n’avions que six canons sur le pont ; nous les jetâmes tout de suite à la mer, ainsi que notre lest en fer et en pierres, des futailles, des douves et des cerceaux, des jarres d’huile, de vieilles provisions, et plusieurs autres des objets les plus pesans. Chacun se mit au travail avec un empressement qui approchait presque de la gaîté, et sans la moindre marque de murmure ou de mécontentement : nos matelots étaient si fort pénétrés du sentiment de leur situation, qu’on n’entendit pas un seul jurement ; la crainte de se rendre coupable de cette faute dans un moment où la mort semblait si prochaine,