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lettre, je montrai aux deux envoyés le nombre de nos malades, spectacle qui parut les toucher ; je leur représentai qu’ils étaient témoins de la nécessité pressante où je me trouvais de me procurer des vivres frais pour tant d’infortunés qui se mouraient ; que refuser de nous en vendre serait agir non-seulement contre les traités subsistans entre les deux nations, mais encore contre les lois de la nature. Ils n’eurent rien à objecter à la force du raisonnement ; mais ils répondirent que les ordres absolus de leurs chefs ne leur permettaient pas de souffrir qu’aucun bâtiment étranger séjournât dans ce port. Alors je répliquai que des hommes réduits à une situation aussi désespérée que la nôtre n’avaient rien à ménager ; que, s’ils ne m’accordaient pas sur-le-champ la liberté d’entrer dans le port pour acheter des vivres et trouver un abri, j’irais, dès que le vent le permettrait, mouiller tout près de la ville, et me ferais échouer sous leurs murailles ; et après avoir vendu chèrement nos vies, je les couvrirais d’infamie pour avoir réduit un vaisseau ami à une si terrible extrémité. Ce discours parut les alarmer ; ils me pressèrent avec un air très-ému de rester où j’étais jusqu’à ce que j’eusse reçu une seconde lettre du gouverneur. Après quelques difficultés, j’y consentis, mais à condition que le gouverneur me ferait part de sa résolution avant la brise de mer du lendemain.

» Il est difficile de décrire l’état d’inquiétude