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qu’il leur porterait ! Dieu veuille que le besoin et le zèle qui nous a inspirés ne soient pas funestes au courageux Aotourou !

» Je n’ai épargné ni l’argent ni les soins pour lui rendre son séjour à Paris agréable et utile. Il y est resté onze mois pendant lesquels il n’a témoigné aucun ennui. L’empressement pour le voir a été vif ; curiosité stérile, qui n’a servi presque qu’à donner des idées fausses à des hommes persifleurs par état, qui ne sont jamais sortis de la capitale, qui n’approfondissent rien, et qui, livrés à des erreurs de toute espèce, ne voient que d’après leurs préjugés, et décident cependant avec sévérité et sans appel. Comment, par exemple, me disaient quelques-uns, dans le pays de cet homme on ne parle ni français, ni anglais, ni espagnol ? Que pouvais-je répondre ? Ce n’était pas toutefois l’étonnement d’une question pareille qui me rendait muet. J’y étais accoutumé, puisque je savais qu’à mon arrivée plusieurs de ceux mêmes qui passent pour instruits soutenaient que je n’avais pas fait le tour du monde, puisque je n’avais pas été en Chine. D’autres, aristarques tranchans, prenaient et répandaient une fort mince idée du pauvre insulaire, sur ce qu’après un séjour de deux ans avec des Français, il parlait à peine quelques mots de la langue. Ne voyons-nous pas tous les jours, disaient-ils, des Italiens, des Anglais, des Allemands auxquels un séjour d’un an à Paris suffit pour apprendre le français ? J’aurais pu répondre,