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ques, qu’ils appellent pirogues, sont formées d’un tronc d’arbre creusé au moyen d’une pierre tranchante, car les pierres leur tiennent lieu de fer, dont ils manquent. Ces arbres sont si grands, qu’un seul canot peut contenir jusqu’à trente et même quarante hommes, qui voguent avec des avirons semblables aux pelles de nos boulangers. À les voir si noirs, tout nus, sales et chauves, on les aurait pris pour les matelots du Styx.

» Les hommes et les femmes sont bien bâtis et conformés comme nous. Ils mangent quelquefois de la chair humaine, mais seulement celle de leurs ennemis. Ce n’est ni par besoin ni par goût qu’ils s’en nourrissent, mais par un usage qui, à ce qu’ils nous dirent, s’est introduit chez eux de la manière suivante : Une vieille femme n’avait qu’un seul fils qui fut tué par les ennemis. Quelque temps après, le meurtrier de son fils fut fait prisonnier et conduit devant elle ; pour se venger, cette mère se jeta comme un animal féroce sur lui, et lui déchira une épaule avec les dents. Cet homme eut le bonheur non-seulement de se tirer des mains de cette vieille femme et de s’évader, mais aussi de s’en retourner chez les siens, auxquels il montra l’empreinte des dents sur son épaule, et leur fit croire (peut-être le croyait-il lui-même) que les ennemis avaient voulu le dévorer tout vif. Pour ne pas céder en férocité aux autres, ils se déterminèrent à manger réellement les ennemis qu’ils prendraient dans les