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Sauveur, à son amour pour les hommes, et sa vie exemplaire et pleine de bienfaisance, aux richesses de sa grâce et de sa miséricorde, j’ai senti parmi mes auditeurs une vive agitation qui passait de la componction du cœur à la lumière de l’esprit. » Crantz dit qu’il a observé les mêmes effets chez les Groënlandais. Les grandes questions de raisonnement laissaient le cœur vide, et remplissaient l’esprit d’une curiosité souvent funeste. On ne s’avise pas même d’apprendre le catéchisme aux Groënlandais par routine, parce que la répugnance qu’ils ont pour tout exercice forcé de la mémoire les éloignerait de la vérité. L’émulation du savoir, même en matière de religion, n’a pas encore troublé ni remué l’ignorance et l’incuriosité naturelle de ce peuple. Il n’y a que les enfans qui, apprenant à lire, savent bien des choses par cœur ; mais les adultes se contentent de croire sans réfléchir. C’est par le cœur que la foi vit en eux. Celui qui pleure sur sa misère, qui soupire pour la grâce, est admis au baptême avant celui qui sait et qui ne sent pas les vérités de la religion. Mais n’est-ce pas abuser à la fois de la révélation et de la raison que d’insinuer l’une dans l’esprit humain à l’insu de l’autre ? L’enthousiasme inspiré par la séduction des sens n’a qu’un moment ; la conviction intime est de tous les temps. Cent orateurs de toutes les sectes du monde, qui se succéderaient dans un même auditoire, le soulèveraient tour à tour chacun pour la sienne