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l’eau à la glace, les emportait en trois jours. Dans l’excès de leurs souffrances, quelques-uns se poignardaient eux-mêmes, ou s’allaient jeter dans la mer pour mettre fin à leurs maux. Un homme, dont le fils était mort de cette funeste épidémie, massacra sa belle-sœur, dans la persuasion qu’elle avait ensorcelé ce malheureux enfant. Les Danois craignaient avec raison un soulèvement de tout le pays contre eux, par le bruit qui s’était répandu qu’ils y avaient apporté cette peste. La frayeur même étendit la rage et l’influence de la contagion. Loin d’y apporter du remède, il semblait qu’on allât au-devant de ce fléau. Les malades restaient sans secours, et les morts sans sépulture. Quelques-uns invoquaient d’abord le Dieu dont les Européens leur avaient appris à bénir le nom ; mais quand ils ne se sentaient point soulagés dans leurs prières, ils le blasphémaient avec des imprécations horribles, ne voulant point croire à l’existence d’une divinité qui leur semblait un être impuissant ou méchant.

Égède était dans la plus cruelle affliction ; il allait de maison en maison, tantôt avec son fils, tantôt avec les frères moraves, consoler les malades ou les préparer à la mort. Partout il ne trouvait que l’image de la désolation : des cabanes désertes ou pleines de deuil et de cris de douleur, des cadavres étendus sur le seuil des portes, ou qui n’étaient enterrés qu’à moitié sous un tas de neige et de pierres. Dans une île entière ils ne virent qu’une pauvre fille,