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par charité ce qu’elles ne faisaient pas autrefois par humanité ; mais on ne les voit pas accorder au vil intérêt ce qu’elles refusaient à la commisération naturelle ; arracher leur propre fils de leur sein pour y substituer le fils du riche ; vendre chèrement leur lait pour un nourrisson étranger, et racheter à bas pris une mamelle étrangère pour l’enfant de leurs entrailles ; trafic inhumain et sordide qui décèle une société dégénérée, où les mères semblent rompre à jamais tous les nœuds de la nature au moment que se déchire le viscère qui les unissait à leurs enfans. Ô sentiment délicieux de la tendresse maternelle, par combien de vices, et peut-être de crimes, il faudra remplacer tes douceurs et tes consolations !

Heureux encore les sauvages groënlandais au milieu de leurs frimas, si l’on compare leur vie aux peines que le luxe nous cause. La famine ne leur donne que la mort, et l’abondance nous procure mille maladies. On peut du moins remédier à leur disette. Si l’on en croit Crantz, toute l’attention des missionnaires se porte à les soulager de ce fléau, vice de leur climat. Mais, en nourrissant les enfans abandonnés, on leur enseigne en même temps à se nourrir eux-mêmes. « Car nos frères, dit-il, n’ont ni l’intention, ni le talent d’entretenir l’oisiveté des indigens qui n’ont pas appris de bonne heure à pourvoir à leur subsistance. Ils aiment mieux prodiguer leurs soins et toutes leurs ressources à l’éducation des enfans pour les