Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 16.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vîmes dans notre retour qu’un seul vaisseau, dont il nous fut impossible d’approcher.

» Après avoir dévoré tous les cuirs de notre vaisseau, jusqu’aux couvercles des coffres nous pensions toucher au dernier moment de notre vie ; mais la nécessité fit venir, à quelqu’un l’idée de chasser les rats et les souris, et l’espérance de les prendre d’autant plus facilement que, n’ayant plus les miettes et d’autres choses à ronger, ils couraient en grand nombre, mourant de faim dans le vaisseau. On les poursuivit avec tant de soin et tant de sortes de piéges, qu’il en demeura fort peu. La nuit même on les cherchait à yeux ouverts comme les chats : un rat était plus estimé qu’un bœuf sur terre ; le prix en monta jusqu’à quatre écus, on les faisait cuire dans l’eau avec tous leurs intestins, qu’on mangeait comme le corps : les pates n’étaient pas exceptées, ni les autres os, qu’on trouvait le moyen d’amollir. L’eau manqua aussi : il ne restait pour tout breuvage qu’un petit tonneau de cidre, que le capitaine et les maîtres ménageaient avec grand soin. S’il tombait de la pluie, on étendait des draps, avec un boulet au milieu, pour la faire distiller. On retenait jusqu’à celle qui s’écoulait par les égouts du vaisseau, quoique plus trouble que celle des rues. On lit, dans Jean de Léon, que les marchands qui traversent les déserts d’Afrique, se voyant en même extrémité de soif, n’ont qu’un seul remède ; c’est que, tuant un de leurs chameaux, et tirant l’eau qui se trouve