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derniers momens de leur vie, deux criminels condamnés à mort ; l’un était métis ou mulâtre, l’autre Péruvien : il se fit donc conduire à la prison. Le premier, que plusieurs prêtres exhortaient en espagnol, faisait des actes de foi, de contrition et d’amour, avec les signes de terreur propres à sa position. Au contraire, l’Américain, entouré de prêtres qui lui parlaient dans sa langue naturelle, était plus tranquille qu’aucun d’eux. Loin de manquer d’appétit comme son compagnon d’infortune, l’approche de sa dernière heure semblait redoubler son avidité à profiter du dégoût de l’autre pour manger la portion qu’il lui voyait refuser. Il parlait librement à tout le monde. Si les prêtres lui faisaient une demande, il répondait sans marquer aucun trouble ; on lui disait de s’agenouiller, il obéissait ; on lui récitait des prières, il les répétait mot pour mot, jetant les yeux tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, comme un enfant vif, qui ne donne qu’une médiocre attention à ce qu’on lui fait faire ou dire. Il ne perdit rien de cette insensibilité jusqu’à ce qu’il fût conduit au gibet ; et tant qu’il eut un souffle de vie, on ne remarqua point en lui la moindre altération.

C’est avec le même sang-froid qu’un Péruvien s’expose à la furie d’un taureau, sans se défendre autrement que par la manière dont il se présente aux coups ; il est jeté en l’air, et tout autre serait tué de sa chute ; mais il n’en est pas même blessé, et se relève fort content