Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 15.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces ; de sorte que le témoignage de mes yeux me fait presque douter de ce que j’ai lu. Comment concevoir qu’une nation assez sage pour avoir fait des lois équitables, et formé un gouvernement aussi régulier que celui sous lequel elle vivait, ne conserve plus aucune marque du fonds d’intelligence et de capacité sans lequel il est évident qu’elle n’a pu régler avec tant de sagesse toute l’économie de la vie civile ? » Il n’y a sans doute qu’une réponse à faire à cette question ; c’est que ces malheureux peuples ont été abrutis par la tyrannie de leurs nouveaux maîtres. Un philosophe tel que don Ulloa devait trouver cette solution ; mais peut-être un Espagnol n’a pas osé l’écrire.

Les Péruviens actuels ont l’air si imbécilles, qu’on croirait pouvoir à peine les placer au-dessus des brutes ; quelquefois même ils semblent dépourvus de l’instinct naturel. Cependant il n’y a pas de peuple au monde qui ait plus de facilité à comprendre, ni une malice plus réfléchie. Il faut conclure de ce contraste que leurs facultés naturelles, qui semblent engourdies par l’esclavage et le malheur, se réveilleraient, si on les mettait en action.

Leur indifférence est extrême pour toutes les choses du monde ; rien n’altère la tranquillité impassible de leur âme. Ils sont également insensibles à la prospérité et aux revers. Quoiqu’à demi nus, ils paraissent aussi contens que l’Espagnol le plus somptueux dans son habillement ; et, loin d’envier un habit riche