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sans attendre plus long-temps ce qui manquait encore à la rançon du roi, on se défît de ce prince, pour s’affranchir tout d’un coup des embarras qu’il pouvait causer. Tous les Espagnols qui étaient venus avec lui tenaient le même langage, parce qu’ils jugeaient qu’aussi long-temps que l’inca vivrait, on ne cesserait pas de prétendre que tout ce qui viendrait d’or ou d’argent serait pour sa rançon, et que, par conséquent, ils n’y auraient jamais aucune part. Pizarre lai-même s’intéressait si peu pour son prisonnier, que, dès le premier moment de sa victoire, s’il en faut croire Benzoni, il avait pensé à s’en délivrer ; mais Garcilasso donne une autre cause à sa haine. Atahualpa était homme d’esprit ; entre les arts qu’il voyait exercer aux Espagnols, celui de lire et d’écrire lui parut si surprenant, qu’il le prit d’abord pour un don de la nature. Pour s’en assurer, il pria un soldat espagnol de lui écrire sur l’ongle du pouce le nom de son dieu ; le soldat n’ayant pas fait difficulté de le satisfaire, il en vint un autre auquel il montra son ongle, en lui demandant ce que signifiaient les caractères : celui-ci le dit d’abord ; et trois ou quatre qui suivirent n’eurent pas plus de difficulté à lire le même mot. Enfin, le gouverneur étant entré, Atahualpa le pria aussi de lui expliquer ce qui était sur son ongle. Pizarre, qui ne savait pas lire, eut de l’embarras à lui répondre. Non seulement l’inca comprit que ce don était un talent acquis, et