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A D O N I S .

Il ne va pas au Monstre, il y court, il y vole ;
Tourne de tous costez, esquive en l’approchant,
Hausse le bras vengeur, et d’un glaive tranchant
S’efforce de punir le Monstre de ses crimes.
Sa dent alloit d’un coup s’immoler deux victimes :
L’une eust senti le mal que l’autre en eust receu,
Si son cruel espoir n’eust point esté deceu.
Entre Palmire et luy l’Amazone se lance :
Palmire craint pour elle, et court à sa deffense[1].
Le sanglier ne sçait plus sur qui d’eux se vanger ;
Toutefois à Palmire il porte un coup leger,
Leger pour le Heros, profond pour son amante.
On l’emporte ; elle suit, inquiete et tremblante :
Le coup est sans danger ; cependant les esprits[2],
En foule avec le sang de leurs prisons sortis,
Laissent faire à Palmire un effort inutile[3].
Il devient aussi-tost pasle, froid, immobile ;
Sa raison n’agit plus, son œil se sent voiler,
Heureux s’il pouvoit voir les pleurs qu’il fait couler !
La moitié des chasseurs, à le plaindre employée,
Suit la triste Aretuse en ses larmes noyée.
Non loin de cet endroit un ruisseau fait son cours ;
Adonis s’y repose aprés mille détours.
Les Nymphes, de qui l’œil void les choses futures,
L’avoient fait égarer en des routes obscures.
Le son des cors se perd par un charme inconnu ;
C’est en vain que leur bruit à ses sens est venu.
Ne sçachant où porter sa course vagabonde,
Il s’arreste en passant au cristal de cette onde.

  1. Manuscrit de 165?8 :
    Palmire en est surpris, et court à sa defense.
  2. Manuscrit de 1658 :
    On l’emporte ; elle suit, toute pâle et tremblante.
    Le coup rompt un artere, et dés-ja les esprits…
  3. Manuscrit de 1658 :
    Laissent faire à ses sens un effort inutile.