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CONTES ET NOUVELLES.

Jurez le moy : car, entre-nous,
J’ay sujet d’estre un peu jaloux.
Que fait autour de nostre porte
Cette soûpirante cohorte ?
Vous me direz que jusqu’icy
La cohorte a mal reüssi :
Je le crois ; cependant, pour plus grande assurance,
Je vous conseille en mon absence
De prendre pour séjour nôtre maison des champs.
Fuyez la Ville et les Amans,
Et leurs presens ;
L’invention en est damnable ;
Des machines d’Amour c’est la plus redoutable :
De tout temps le monde a veu Don
Estre le pere d’abandon.
Declarez-luy la guerre ; et soyez sourde, Argie,
A sa sœur cajolerie.
Dés que vous sentirez approcher les blondins,
Fermez vite vos yeux, vos oreilles, vos mains.
Rien ne vous manquera ; je vous fais la maistresse
De tout ce que le Ciel m’a donné de richesse :
Tenez, voila les clefs de l’argent, des papiers ;
Faites-vous payer des fermiers ;
Je ne vous demande aucun conte :
Suffit que je puisse sans honte
Aprendre vos plaisirs ; je vous les permets tous,
Hors ceux d’amour, qu’à vostre Epoux
Vous garderez entiers pour son retour de Rome :
C’en estoit trop pour le bon homme ;
Helas ! il permettoit tous plaisirs, hors un point
Sans lequel seul il n’en est point.
Son Epouse luy fit promesse solemnelle
D’estre sourde, aveugle, et cruelle,
Et de ne prendre aucun present ;
Il la retrouveroit au retour route telle
qu’il la laissoit en s’en allant,
Sans nul vestige de Galant.
Anselme estant party, tout aussi-tost Argie