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CONTES ET NOUVELLES.

Nostre Legiste eust mis son doigt au feu
Que son Epouse estoit toûjours fidele,
Entiere et chaste, et que, moyennant Dieu,
Pour de l’argent on luy rendroit la Belle.
De Pagamin il prit un sauf-conduit,
L’alla trouver, luy mit la carte blanche.
Pagamin dit : Si je n’ay pas bon bruit,
C’est à grand tort ; je veux vous rendre franche,
Et sans rançon, vostre chere moitié.
Ne plaise à Dieu que si belle amitié
Soit par mon fait de desastre ainsi pleine.
Celle pour qui vous prenez tant de peine
Vous reviendra selon vostre desir.
Je me veux point vous vendre ce plaisir.
Faites-moy voir seulement qu’elle est vôtre ;
Car si j’allois vous en rendre quelque autre,
Comme il m’en tombe assez entre les mains,
Ce me seroit une espece de blâme.
Ces jours passez je pris certaine Dame
Dont les cheveux sont quelque peu chastains,
Grande de taille, en bon poinct, jeune et fraische.
Si cette Belle, aprés vous avoir veu,
Dit estre à vous, c’est autant de conclu :
Reprenez-la : rien ne vous en empêche.
Richard reprit : Vous parlez sagement,
Et me traitez trop genereusement ;
De son mestier il faut que chacun vive.
Mettez un prix à la pauvre captive,
Je le payray contant, sans hesiter.
Le compliment n’est icy necessaire :
Voilà ma bourse, il ne faut que compter.
Ne me traitez que comme on pourroit faire
En pareil cas l’homme le moins connu.
Seroit-il dit que vous m’eussiez vaincu
D’honnesteté ? Non sera sur mon ame.
Vous le verrez. Car, quant à cette Dame,
Ne doutez point qu’elle ne soit moy.
Je ne veux pas que vous m’ajoûtiez foy,