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LIVRE DOUZIÉME.

Pilpay fait pres du Gange arriver l’Avanture[1].
Là nulle humaine Creature
Ne touche aux Animaux pour leur sang épancher.
Le Roi même feroit scrupule d’y toucher.
Sçavons-nous, disent-ils, si cet Oiseau de proie
N’étoit point au siége de Troie ?
Peut-être y tint-il lieu d’un Prince ou d’un Heros[2]
Des plus hupez et des plus hauts.
Ce qu’il fut autrefois il pourra l’être encore.
Nous croïons aprés Pythagore,
Qu’avec les Animaux de forme nous changeons,
Tantôt Milans, tantôt Pigeons,
Tantôt Humains, puis[3] Volatilles,
Aïant dans les airs leurs familles.

Comme l’on conte en deux façons
L’accident du Chasseur, voici l’autre maniere.
Un certain Fauconnier aïant pris, ce dit-on,
A la Chasse un Milan (ce qui n’arrive guere)
En voulut au Roi faire un don,
Comme de chose singuliere.
Ce cas n’arrive pas quelquefois en cent ans.
C’est le Non plus ultra de la Fauconnerie.
Ce Chasseur perce donc un gros de Courtisans,
Plein de zele, échaufé, s’il le fut de sa vie.
Par ce parangon des presens
Il croïoit sa fortune faite,
Quand l’Animal porte-sonnette,
Sauvage encore et tout grossier,
Avec ses ongles tout d’acier
Prend le nez du Chasseur, hape le pauvre sire[4] :

  1. Si je craignois quelque censure
    Je citerois Pilpay touchant cette avanture.
    Ses récits en ont l’air : il me seroit aisé
    De la tirer d’un lieu par le Gange arrosé.
  2. De Prince ou de Heros, dans Les Œuvres postumes.
  3. Qui, dans Les Œuvres postumes.
  4. Lorsque sur ce Chasseur l’animal se rejette,