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LIVRE ONZIÉME.

De s’élever aussi soy-mesme.
De tout ce que dessus j’argumente tres-bien,
Qu’icy bas maint talent n’est que pure grimace,
Cabale, et certain art de se faire valoir,
Mieux sceu des ignorans, que des gens de sçavoir.
L’autre jour suivant à la trace
Deux Asnes qui prenant tour à tour l’encensoir
Se loüoient tour à tour, comme c’est la maniere ;
J’oüis que l’un des deux disoit à son confrere ;
Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot
L’homme cét animal si parfait. ? il profâne
Notre auguste nom, traitant d’Asne
Quiconque est ignorant, d’esprit lourd, idiot :
Il abuse encore d’un mot,
Et traite nostre rire, et nos discours de braire.
Les humains sont plaisans de pretendre exceller
Par dessus nous ; non, non ; c’est à vous de parler,
A leurs Orateurs de se taire.
Voilà les vrays braillards ; mais laissons-là ces gens ;
Vous m’entendez, je vous entends :
Il suffit : et quant aux merveilles,
Dont vostre divin chant vient frapper les oreilles,
Philomele est au prix novice dans cét Art ;
Vous surpassez Lambert. L’autre baudet repart :
Seigneur, j’admire en vous des qualitez pareilles.
Ces Asnes non contens de s’estre ainsi gratez,
S’en allerent dans les Citez
L’un l’autre se prosner. Chacun d’eux croyoit faire
En prisant ses pareils une fort bonne affaire.
Pretendant que l’honneur en reviendroit sur luy.
J’en connois beaucoup aujourd’huy,
Non parmi les baudets, mais parmy les puissances
Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrez,
Qui changeroient entre eux les simples excellences,
S’ils osoient, en des majestez.
J’en dis peut-estre plus qu’il ne faut, et suppose
Que vostre majesté gardera le secret.
Elle avoit soûhaité d’apprendre quelque trait