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FABLES CHOISIES.

Mais quoy ? Si l’amour n’assaisonne
Les plaisirs que l’hymen nous donne,
Je ne vois pas qu’on en soit mieux.
Nostre épouse estant donc de la sorte bâtie,
Et n’ayant caressé son mari de sa vie,
Il en faisoit sa plainte une nuit. Un voleur
Interrompit la doleance.
La pauvre femme eut si grand’peur,
Qu’elle chercha quelque assurance
Entre les bras de son époux.
Amy Voleur, dit-il, sans toy ce bien si doux
Me seroit inconnu ; Pren donc en recompense
Tout ce qui peut chez-nous estre à ta bien-seance :
Pren le logis aussi. Les voleurs ne sont pas
Gens honteux ny fort délicats ;
Celuy-cy fit sa main. J’infere de ce conte
Que la plus forte passion
C’est la peur ; elle fait vaincre l’aversion ;
Et l’amour quelquefois ; quelquefois il la dompte ;
J’en ay pour preuve cet amant,
Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame,
L’emportant travérs la flame [1] ;
J’aime assez cet emportement ;
Le conte m’en a plû toûjours infiniment :
Il est bien d’une ame Espagnole,
Et plus grande encore que folle.

  1. Allusion à l’aventure du comte de Villa-Medina avec Elisabeth de France, fille de Henri IV, et femme de Philippe IV, roi d’Espagne.
    « La force de sa passion le porta à faire preparer une Comedie en machines, et d’y dépenser vingt mil écus ; et apres pour pouvoir embrasser la Reyne, en l’enlevant au feu, il le fit mettre au theatre et brûler presque toute la maison. » (Voyage d’Espagne, par F. d’Aarsens de Sommerdyck. A Cologne, chez Pierre Marteau, 1666, in–12, p. 49.)