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LIVRE HUITIÉME.

Prenez en gré mes vœux ardens,
Et le récit en vers, qu’icy je vous dedie.
Son sujet vous convient ; je n’en diray pas plus :
Sur les Eloges que l’envie
Doit avoüer qui vous sont deus,
Vous ne voulez pas qu’on appuye.

Dans Athene autrefois peuple vain et leger,
Un Orateur voyant sa patrie en danger,
Courut à la Tribune ; et d’un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une republique,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutoit pas : l’Orateur recourut
A ces figures violentes,
Qui sçavent exciter les ames les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.
Le vent emporta tout ; personne ne s’émut.
L’animal aux testes frivoles
Estant fait à ces traits, ne daignoit l’écouter ;
Tous regardoient ailleurs : il en vid s’arrester
A des combats d’enfans, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
Céres, commença-t-il, faisoit voyage un jour
Avec l’Anguille et l’Hirondelle :
Un fleuve les arreste ; et l’Anguille en nageant,
Comme l’Hirondelle en volant,
Le traversa bien-tost. L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix : Et Céres, que fit-elle ?
Ce qu’elle fit ? un prompt courroux
L’anima d’abord contre vous.
Quoy, de contes d’enfans son peuple s’embarasse !
Et du peril qui le menace
Luy seul entre les Grecs il neglige l’effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
A ce reproche l’assemblée
Par l’Apologue réveillée
Se donne entiere à l’Orateur :
Un trait de Fable en eut l’honneur.